Les journaux gratuits

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Les journaux gratuits
Patrick Besson
Extrait de Nouvelles Mythologies sous la direction de Jérôme Garcin
Page 32, Seuil, 2007
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"Le gratuit : la vieille obsession soixante-huitarde de vivre pour zéro centime. Je revois les babas en Grèce, dans les années 1970 et 1980, marchander un yaourt au lait de brebis. Ou, de nos jours, au marché aux livres anciens du square Georges-Brassens, les bobos demander une réduction de 50 centimes sur un livre de poche à 1 euro. La radinerie de Grandet portée sur les fonds baptismaux de l'ultragauchisme agonisant en libéralisme caritatif.

Quand on vous donne une chose pour rien, c'est qu'elle ne vaut rien. Ou que la personne qui l'a faite n'a pas été payée. Ou qu'on va vous prendre, en échange, quelque chose d'autre. Dans les trois cas, on est mal. Le journal gratuit est un journal télévisé qu'on a vu la veille pour zéro euro, sauf qu' à la télé les publicités sont avant et après alors que dans le journal elles sont au milieu. Les analyses ne sauraient être de gauche ou de droite, car le lecteur, ne s'étant pas engagé à la payer, ne tolérerait pas une autre opinion que la sienne. Ces cinq ou six personnes sur dix, le matin, dans le métro, absorbant une absence de point de vue sur le monde. C'est beau comme George Orwell. Ou une scène de Matrix (le frères Wachowski, 1999) coupée au montage pour lenteur. Et laideur.

Comment accepter qu'en démocratie un distributeur de croissants et de pains au chocolat gratuits officie à deux mètres d'une boulangerie-pâtisserie où les mêmes produits sont payants ? Ça porte, en droit commercial, un nom : concurrence déloyale. Si j'étais candidat à l'élection présidentielle, je proposerais la suppression des journaux gratuits. Comme ça, Karine Papillaud perdrait son travail et pourrait finir son premier roman."

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